
Politique / Que restera-t-il de la gauche ivoirienne après la sortie de Blé Goudé ?
Invité sur le plateau d’Ali Diarrassouba à l’émission » La Quotidienne Info » le lundi 24 Novembre 2025, Charles Blé Goudé n’a pas eu la langue de bois face aux questions des journalistes. Il n’a épargné personne. Ni ses anciens alliés, ni les figures emblématiques du FPI devenu PPA-CI. Ses propos vont au-delà d’un simple règlement de compte ; ils exposent, avec une précision chirurgicale, les fractures profondes, les rancœurs accumulées et une lutte acharnée pour le pouvoir qui ont progressivement anéanti la gauche ivoirienne. Décryptage…
Charles Blé Goudé n’a pas manqué de dévoiler l’origine de la brouille entre lui et Laurent Gbagbo. L’actuelle épouse de l’ancien président de la République, serait selon lui, à la base de ce climat délétère.
Accusation frontale
Le cœur du débat est sa rupture avec Laurent Gbagbo. Avant de donner de plus amples détails sur ce divorce non consensuel, il a tenu à faire une précision. « Mon silence risque finalement de se retourner contre moi », a-t-il fait savoir.
Et au centre de ce choc, un nom résonne comme étant à l’origine du déséquilibre que peu de personnes avaient osé mettre en lumière jusqu’ici : Nadiany Bamba. Blé Goudé l’accuse d’avoir joué un rôle central dans l’effondrement idéologique de la gauche, une figure jusqu’alors discrète mais, selon lui, décisive dans le processus. Pour ce faire, il revient sur une mission qu’il aurait menée depuis la prison de la Haye à la demande de Gbagbo lui-même. Cette mission portait sur une maison évoquée comme siège du FPI, qui serait en réalité, d’après lui, la propriété de Nady Bamba. Ce lieu n’apparaît pas comme une simple bâtisse mais plutôt comme le symbole d’une structure politique gangrénée de l’intérieur : où règnent opacité, luttes pour le contrôle et rivalités personnelles bien loin des principes fondateurs du mouvement.
« Dans La cellule, j’ai vu mon chef, malheureux. Il m’a confié une mission. Il m’a dit : La maison du FPI appartient à Nady Bamba. Je devais résoudre ce problème », entonne Blé Goudé. Dans son récit, il évoque avoir approché Pascal Affi N’Guessan pour tenter d’apaiser la situation. Une discussion irréaliste s’ensuit : Affi explique que l’achat du bâtiment a été financé par des dirigeants proches du parti, alors que Gbagbo souhaite que la propriété soit restituée pour apaiser les tensions. L’épisode qui suit reflète presque une tragi-comédie politique. Selon lui, Nady Bamba aurait déclaré avec enthousiasme :« Merci Blé, la maison m’a été rétrocédée. Si je la vends, tu auras ta part ». Ce remerciement a été ressenti comme une forme d’humiliation par Blé Goudé, marquant à ses yeux le début de son exclusion : « Suis-je devenu un ennemi pour avoir dit la vérité ?»
Humiliation …
Celui qu’on surnomme Gbapê va plus loin et dévoile un épisode longtemps gardé secret, selon lui, clé pour comprendre les fractures actuelles.
«2009, je peux aller loin, Issa Sangaré Yeresso animait alors une émission intitulée En toute franchise. Lors d’une de mes interventions, j’ai clairement demandé à Soro Guillaume de désarmer, dans la mesure où il avait été nommé Premier ministre en partie pour cette tâche. Trois jours plus tard, je me retrouve convoqué par Nady Bamba à son domicile. À mon arrivée, je découvre Guillaume Soro, Konaté Sidiki et Meité Sindou. J’ai la désagréable impression de siéger sur un banc des accusés. Peu après, le chef de l’État fait son entrée. Me voilà assis entre le Président de la République et le Premier ministre ». Il s’arrête un instant, avant de frapper un coup plus sec.
« Et là, elle prend la parole : Blé, présente tes excuses à Guillaume Soro. Je demande pourquoi. Elle me répond : Pourquoi lui as-tu demandé de désarmer ? Les armes qu’il possède, si un jour ça tonne, ce ne sera pas contre Gbagbo. À cet instant, je suis perdu. Que suis-je censé comprendre devant le chef de l’État et le Premier ministre ? Je finis par me mettre à genoux pour demander pardon. Cette nuit-là, je n’ai pas trouvé le sommeil. Et en 2011, ces armes ont tonné. Contre qui ? » Le témoignage, est brut et sans détour.
Infiltration…
Au fur et à mesure que Blé Goudé déroule son récit, un constat frappe : la gauche ivoirienne ne succombe pas sous les coups de forces extérieures. Elle s’est ruinée elle-même, minée par le manque de transparence, l’obsession des protagonistes pour leur propre ascension et des logiques de clans prenant le pas sur les idées. Aux yeux de l’actuel président du Cojep, Stéphane Kipré et indirectement Nady Bamba, auraient orchestré un “conglomérat” ayant pris le contrôle de la gauche tout en marginalisant les héritiers historiques du parti de Gbagbo. À en croire Blé Goudé , la gauche ivoirienne est victime d’un complot d’infiltration. Un plan d’expropriation. Un plan d’appropriation.
Il cite nommément des figures payant le prix de cette “recomposition brutale” : Lida Kouassi Moise, Damana Adia Pickass, Koné Boubacar… tous emprisonnés. Pendant ce temps, les alliés du “nouvel ordre” jouissent d’une liberté et se taillent une place dans l’arène politique.
Fissures …
Ces révélations ne font que mettre en lumière une réalité déjà connue de certains mais rarement abordée publiquement. L’effondrement de la gauche ivoirienne ne date pas d’hier. Les départs successifs de grandes figures telles que Mamadou Koulibaly ou Aboudramane Sangaré ont fragilisé l’idéal fondateur. L’éviction de Simone Gbagbo en 2021, l’isolement de Blé Goudé et la marginalisation progressive d’Ahoua Don Mello ont creusé davantage le fossé. À chaque étape décisive, une partie essentielle de l’architecture idéologique s’est effondrée.
Une gauche en ruine…
La question n’est désormais plus théorique : elle s’impose avec force. Elle se perçoit dans les silences, dans les regards et dans les fissures que Blé Goudé a brutalement exposées au grand jour. Peut-on encore parler de gauche ivoirienne ? Ou ne reste-t-il qu’un puzzle désordonné, d’intérêts personnels, de rivalités intestines et de luttes de pouvoir ? Au-delà de l’affaire immobilière, ces divisions et trahisons internes font vaciller un pan entier de l’histoire politique nationale. Une gauche à la base de la pluralité démocratique semble désormais engluée dans ses propres contradictions.
En fin de compte, à force de se diviser, s’accuser et se déchirer mutuellement, la gauche ivoirienne ressemble à un vieux tissu usé par trop de lavages : quelques motifs subsistent peut-être encore ici et là, mais il est difficile de savoir à qui ils appartiennent véritablement… et surtout, qui aurait encore le courage d’en revendiquer le port.
