Opération de sécurisation foncière dans le Sud-Est : Les laissés-pour-compte du Pamofor (1ère partie)
« Le PAMOFOR s’est achevé ce 30 juin 2024 avec des résultats très satisfaisants. Le projet a permis de délivrer 48 269 certificats fonciers soit 90% de l’objectif de 53 400 dont 31, 07% à des femmes, 31.144 contrats agraires conclus entre propriétaires terriens et exploitants agricoles, soit 36, 45% des 85 440 contrats espérés.
100% des 79 territoires de villages programmés ont été délimités et bornés, 11 236 acteurs du foncier rural ont bénéficié d’une formation sur les procédures en matière de sécurisation foncière rurale et le Système d’Informations du Foncier Rural (SIFOR) rendu opérationnel.
Toutes initiatives confondues, les résultats globaux réalisés par l’AFOR cumulent à 57 171 certificats fonciers délivrés en 2024, contre 3 920 en 2016 avant la création de l’agence. Cela représente une superficie de 660 184 hectares certifiée et sécurisée, soit 2, 87% des 23 millions d’hectares du domaine foncier rural de la Côte d’Ivoire. 5 325 territoires de villages délimités et bornés, soit 62, 09% des 8 576 villages officiels que compte le pays. 31 144 contrats agraires conclus contre aucun avant la création de l’AFOR.
Ces résultats ont renforcé la confiance de la Banque Mondiale envers l’AFOR pour la mise en œuvre d’un projet plus vaste, le Programme de Renforcement de la Sécurisation Foncière Rurale (PRESFOR), qui va s’exécuter dans 16 régions de la Côte d’Ivoire, contre 6 dans le cadre du PAMOFOR », écrit la direction de la Communication en réponse à la question, « Alors que s’achève bientôt le PAMOFOR, quel bilan faites-vous du projet à terme ? »
Ces chiffres dont s’enorgueillie l’agence semblent, à dessein (?), faire l’impasse sur les frustrations de ces centaines, voire milliers de bannis du programme dont les conséquences pourraient – à l’avenir- déteindre sur la cohésion sociale dans certaines régions.
Laissés-pour-compte
« Je n’ai pas payé, ils ont refusé de faire pour moi. A Toumanguié, nous sommes au moins trois (03) dans ce cas. Je suis allé jusqu’à la préfecture d’Aboisso, rencontrer le responsable du PAMOFOR. Il m’a fait comprendre que dès lors que la contribution a été décidée par les 12 chefs de village de la sous-préfecture d’Adaou, nul ne devrait s’en soustraire. Voilà que les autres ont obtenu leurs certificats fonciers et pas moi. Il a ajouté que ni l’Afor, ni le préfet de région ne peuvent rien faire pour moi. Encore moins le sous-préfet. Il m’a également exhorté à verser la contribution dans le cadre du presfor (Ndlr : programme de renforcement de la sécurisation foncière rurale officiellement lancé à Guiglo, le 18 juillet 2024). Laissant planer la menace d’une expropriation de mes terres par l’Etat si celles-ci n’étaient pas immatriculées au terme de ce deuxième programme. »
Amer et très remonté
Au téléphone ce 28 août 2024, Moustapha, un détenteur de droits coutumiers sur des parcelles à Toumanguié, village situé dans la sous-préfecture d’Adaou, (département d’Aboisso dans le Sud-Est de la Côte d’Ivoire, environ 120 Km d’Abidjan) est amer. A la limite, il suspecte une tentative d’extorsion de fonds. Pour une opération gratuite, le comité villageois de gestion foncière rurale (CVGFR) de son village lui exige une contribution de 20.000 F CFA qu’il estime excessive. « Que vont-ils faire avec tout cet argent », s’interroge-t-il ? « Nous ne refusons pas de payer mais le montant fixé est élevé. A Adaou, c’est 5 000 F CFA », fait-il remarquer.
« La notabilité a demandé aux enquêteurs d’arrêter l’enquête… »
L’homme n’est pas le seul dans ce cas. A Soumié, (environ 5 Km d’Adaou), un autre village dans la même sous-préfecture, ce sont environ soixante-dix individus – appartenant à la communauté allogène – qui ont été – de facto – exclus du programme. A la différence de Moustapha, ils se sont pourtant acquittés de la contribution fixée par le CVGFR de leur bourgade à 7 000 F CFA.
« Nos parents se sont installés dans le village depuis 1945. Nous y sommes nés. Nous y avons nos plantations. Lorsque les enquêteurs sont arrivés pour la clarification foncière, le 24 mai 2024, après l’étape de la délimitation, la notabilité leur a demandé d’arrêter les enquêtes au prétexte que nous sommes des étrangers. Nous ne pouvons donc pas prétendre à l’accès à la propriété. Pour ces enquêtes justement, le comité nous a exigé une contribution de 7000 F CFA devant servir à la restauration des enquêteurs. Le chef de village d’Adaou a été informé. Il a demandé que le travail des agents ne soit pas entravé. En vain », a révélé au téléphone, le 20 juin 2024, Pérou, le porte-parole des concernés.
Boycott de l’opération
Le 28 juin, par appel téléphonique, Pérou nous a fait part du boycott des activités des enquêteurs par le CVGFR. « Le président du comité a fermé sa porte et est partie. Les autres membres en dehors du secrétaire général n’ont pas répondu présent à l’invitation des enquêteurs », lâche-t-il désespéré. Notre tentative pour échanger avec le SG a tourné court. L’interlocuteur, visiblement de mauvais poils exigeant que nous fassions le déplacement à Adaou pour rencontrer le chef du village…
Durée, zones cibles, principes
Débuté en juillet 2018, pour une période de cinq (05) ans, le projet d’amélioration et de mise en œuvre de la politique foncière rurale (pamofor) s’est achevé le 30 juin 2024. Il a été implémenté dans six (06) régions de la Côte d’Ivoire : Agnéby-Tiassa, Bafing, Indénié-Djuablin, Mé, N’Zi et Sud-Comoé. Des zones retenues en tenant compte des certains principes : la recrudescence des conflits fonciers, la faible exposition aux conflits pour maintenir la cohésion sociale, les contextes socio géographiques, l’inachèvement des opérations de sécurisation foncière.
Objectifs
Selon la dircom de l’Afor, « ce programme ambitionne de significativement améliorer les résultats de certification foncière et de contractualisation au cours des cinq (5) prochaines années. Il vise à numériser le processus de sécurisation foncière rurale, en vue de l’accélérer et de réaliser un enregistrement systématique à grande échelle des terres coutumières (…) A l’horizon 2029, le programme devrait atteindre les objectifs contractuels de 500 000 certificats fonciers à délivrer sur une superficie de 5 000 000 ha et 500 000 contrats agraires à conclure ».
Suggestion
Pour atteindre ces objectifs, l’Etat ivoirien a contracté auprès de la Banque mondiale un prêt d’une valeur de 50 millions de USD (environ 123 milliards de F CFA).
Un militant de l’Ong Alerte foncier avec qui nous avons échangé ainsi que plusieurs autres témoins ont révélé que lors de la phase de lancement à Adaou, Bamba Cheick Daniel, dégé de l’Afor, a expliqué aux populations que, le projet est certes gratuit mais la prise en charge des bénévoles des CVGFR n’était incluse dans l’enveloppe globale. Suggérant à mots-couverts qu’il faudrait y songer. Conscient des excès auxquels l’ouverture d’une telle brèche pourrait aboutir, le patron du foncier rural a vite fait de poser des balises. « Je ne veux surtout pas entendre qu’on a demandé 50 ou 100 000 F CFA ! », a-t-il prévenu.
Par ailleurs, il a fortement insisté sur la représentativité des comités villageois. Autochtones, allogènes, jeunes et femmes, surtout les sachants doivent en faire partie, conformément au décret N°2019-264 du 27 mars 2019 portant organisation et attributions des Comités sous-préfectoraux de Gestion foncière rurale et des Comités villageois de Gestion foncière rurale.
« Nous allions fortement la déconseiller »
Le 23 août 2024, dans un courriel retour à une correspondance adressée au directeur général de l’Afor depuis, le 15 mai 2024, voici les réponses que donne la direction de la communication de la structure à deux de nos préoccupations :
» Selon nos informations, les Comités villageois de Gestion foncière rurale (CVGFR) dans la sous-préfecture d’Adaou ont institué – sans concertation des populations – une contribution qui varie de 5000 F CFA à 20 000 F CFA dans le cadre de la mise en œuvre du PAMOFOR qui est gratuit. Etes-vous informé de cette situation ?
Nous ne sommes pas informés d’une telle pratique, si elle était avérée. Si nous avions été informés ou saisis, nous allions fortement la déconseiller car le projet est entièrement gratuit.
Nous vous suggérons d’approfondir votre investigation, en entrant en contact avec le comité en question, pour savoir éventuellement ce qui aurait pu motiver une telle pratique.
A quel besoin répond l’instauration de cette contribution ?
Il n’y aucune contribution qui vaille ! La délivrance du Certificat Foncier dans le cadre du PAMOFOR est totalement gratuite. »
La direction générale et ses communicants ne devraient-ils pas faire chorus ? …
(A suivre)

