Devenir le miracle
En attendant un scanner au Chr de Bondoukou
Le Gontougou n’est ni la région la plus pauvre, ni la plus favorisée de Côte d’Ivoire. Mais dans l’âme, elle se révèle aujourd’hui comme l’une des plus courageuses. Il en faut du courage pour dénoncer publiquement un manque au paradis, rêver d’un avenir où l’on ne soit plus obligé de parcourir 200 kilomètres jusqu’à Abengourou pour un diagnostic vital. Où la santé devient enfin un droit, et non un privilège.
« Ils étaient un seul homme » est l’adaptation cinématographique du livre « The Boys in the Boat » de l’écrivain américain Daniel James Brown, littéralement traduit par « Les garçons dans le bateau ». Ce chef-d’œuvre; porté à l’écran par George Clooney, nous plonge dans l’Amérique des années 30, secouée par la grande dépression, et retrace l’épopée saisissante de neuf rameurs issus de milieux modestes.
Héros ordinaire
Ce film bouleversant met en lumière l’acteur Callum Turner dans le rôle de Joe Rantz, un jeune homme abandonné par son père à 14 ans. Il incarne le modèle du héros ordinaire : courageux, résilient, animé d’un rêve qui défie ses limites physiques et intellectuelles. Au-delà de l’exploit sportif, c’est une véritable leçon de vie que le film propose. Une ode à l’entraide, à la détermination et à la force du collectif face à l’adversité.
Faire front ensemble
Cette histoire, bien qu’éloignée dans le temps et dans l’espace, entre en résonance avec ce qui se passe à Bondoukou, chef-lieu de la région du Gontougou. Là-bas aussi, souffle un vent d’espoir et de mobilisation. Face à l’absence d’un scanner médical indispensable pour sauver des vies, les populations refusent la passivité. Dans l’attente de la construction d’un pôle d’excellence sanitaire, elles ont pris les devants. En lançant décidant de lancer une collecte citoyenne. Sans budget de l’Etat, sans soutien d’organisme international, sans parrain politique. Juste elles. Leur foi, leur volonté, leur solidarité. Leur besoin de vivre. Comme les rameurs américains, elles n’ont pas les moyens. Comme eux, elles n’ont pas les faveurs des pronostics. Mais elles ont fait un choix : celui de faire front, ensemble. Leur mot d’ordre : la foi. Et ce n’est sans doute pas un hasard si Bondoukou est surnommée la ville aux mille mosquées.
Montants vertigineux
Un scanner coûte entre 200 000 et 2 000 000 d’euros (soit entre 130 et 1 300 millions de F CFA). À cela s’ajoutent des frais d’installation allant de 50 000 à 200 000 euros, et des coûts de maintenance annuelle représentant 5 à 10 % de son prix. Des montants vertigineux dans un pays où le SMIG est de 75 000 F CFA, environ 114 euros. Le Gontougou n’est ni la région la plus pauvre, ni la plus favorisée de Côte d’Ivoire. Mais dans l’âme, elle se révèle aujourd’hui comme l’une des plus courageuses. Il en faut du courage pour dénoncer publiquement un manque au paradis, rêver d’un avenir où l’on ne soit plus obligé de parcourir 200 kilomètres jusqu’à Abengourou pour un diagnostic vital. Où la santé devient enfin un droit, et non un privilège.
S’émanciper des lamentations stériles
Il est temps de tourner la page de la résignation. Bondoukou montre à toute la Côte d’Ivoire qu’il faut s’émanciper des lamentations stériles. Oser des actes concrets. Ce n’est pas toujours Dieu qui reprend ce qu’il donne. Parfois, c’est juste notre négligence. Nos renoncements. Ceux qui ont un besoin vital tracent eux-mêmes leur route… Cette prise de conscience, cette volonté de se lever pour soi-même et pour ses proches, ceux qui nous sont chers et les autres, constitue le socle d’une nation forte. D’un peuple debout.
Indépendance citoyenne
Plus qu’un projet de santé, ce qui se joue à 420 Km d’Abidjan, la capitale économique, est une véritable déclaration d’indépendance citoyenne. Un cri d’espoir lancé au cœur du vacarme de l’inaction.
Quoiqu’il advienne, l’histoire retiendra l’audace des initiateurs. Car souvent, ce sont les bâtisseurs d’impossible qui marquent la mémoire des peuples. Bondoukou a compris une chose : ceux qui rament ensemble vers un même but n’attendent pas le miracle. Ils deviennent ce miracle.

