Légèreté sociale

Une société minée par les maux

On oublie peut-être que les scandales, les maux qui minent notre société et émeuvent le citoyen lambda sont porteurs, dans la majorité des cas, de dysfonctionnements structurels. Pour le percevoir, il faut penser, réfléchir. Un exercice douloureux qui fait souffrir… et que beaucoup préfèrent éviter. Il est vrai que c’est moins fatiguant.

À chaque semaine son agitation, son buzz. Cette fois, la palme revient au scandale de pédophilie à Port-Bouët qui défraie la chronique sur les réseaux sociaux, offrant un nouveau prétexte pour que l’indignation se donne en spectacle. Attention, il ne s’agit pas de banaliser ni de minimiser la gravité de cette atteinte aux bonnes mœurs qui secoue la société. L’enjeu est de mettre en lumière une certaine légèreté sociale qui veut que l’indignation aille rarement au-delà de l’émotion circonstancielle. Derrière cet énième fracas numérique, que va-t-il rester ? Pas l’amorce d’une réflexion sérieuse, pas la moindre tentative de questionner le fond. Encore moins de pression sociale pour exiger réparation et justice. Rien du tout. Sauf du bruit.

On oublie peut-être que les scandales, les maux qui minent notre société et émeuvent le citoyen lambda sont porteurs, dans la majorité des cas, de dysfonctionnements structurels. Pour le percevoir, il faut penser, réfléchir. Un exercice douloureux qui fait souffrir… et que beaucoup préfèrent éviter. Il est vrai que c’est moins fatiguant.

Telle une épidémie, cette inclination touche désormais les intellectuels. Pas ceux qui, dans un bistrot, sous l’effet de la levure de maïs, se proclament comme tels tout en ignorant le véritable sens du mot. Les vrais : les producteurs de savoirs et de connaissances, qui devraient contribuer au progrès de la société mais qui préfèrent tronquer leur vocation et mettre leur génie au service exclusif de leur confort digestif, défendant parfois des causes politiques hostiles à l’intérêt général, se positionnant au gré des opportunités et des connivences, contre toute logique de vérité ou de cohérence. Au lieu de se taire.

C’est le temps du reniement. À la logique de “vivre pour manger”, certains ont franchi le seuil de l’indécence et vendu leur âme à Mamon, le dieu de l’argent. Nouvelle mesure du “commerce social” dans ce pays où il ne reste plus qu’à exiger de l’éthique un visa court séjour pour couronner l’absurde.

Les politiques ne sont pas en marge de cette kermesse populaire du divertissement. Ils offrent du pain et des jeux à tour de bras pour mieux endormir les consciences. La gestion publique s’enferme désormais dans une pure logique marketing : slogans creux, promesses opportunistes, gesticulations d’image.

Que dire des chaînes de télévision ? Elles ont rangé au placard leur impératif d’éducation et de sensibilisation pour épouser sans retenue le pli d’une société décadente. Les émissions qui ont la cote — pour ne pas les citer — sont celles qui se vautrent volontiers “en dessous de la ceinture” : sexe, scandale, sang. L’intérêt du public y est systématiquement privilégié, au détriment de l’intérêt public, comme si ces deux notions étaient interchangeables.

A-t-on perdu de vue qu’à force d’excès, même le divertissement peut devenir toxique, quand bien même il serait inscrit dans notre patrimoine génétique ? Quel est l’objectif ? Produire une société d’imbéciles heureux ?

Car après avoir bu, dansé, prospéré dans l’insouciance et fait de la dérision une valeur suprême, il faut bien produire quelque chose pour maintenir la dynamique sociale. Avec quel génie ?

Plus personne ne semble avoir quoi que ce soit à proposer qui ressemble à un véritable projet collectif mobilisateur.

La démocratie n’est pas un théâtre de la futilité. Elle exige des idées, du débat exigeant, une exigence morale. Il faut bien, un jour, engager la révolution copernicienne de notre dialectique nationale : cette remise à plat qui replacera enfin les vraies questions au centre, qui nous obligera à penser autrement.

En attendant, on peut continuer de scruter l’écran et suivre, entre deux posts aussi indécents que futiles, le hit-parade de l’hashtag du moment.

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