La triche au berceau

Une bombe à retardement

En Côte d’Ivoire, la fraude n’attend pas le collège ou le lycée. Elle commence à 10 ans, dès le Cepe !

Ils sont 588 492 élèves, candidats au Certificat d’études primaires élémentaires (Cepe), à prendre d’assaut, ce 19 mai 2025, les 2 724 centres d’examen répartis sur l’ensemble du territoire national. Un moment supposé célébrer l’effort, la probité et le mérite. Surtout après une année scolaire émaillée de mouvements d’humeur, de perturbations du programme scolaire, et même d’embastillement d’enseignants…

Hélas, au-delà de ce semblant de retour à la normalité, le CEPE s’impose de plus en plus comme un rite d’initiation à la fraude. Dès l’âge de 10 ans, nos enfants perdent leur innocence. Ils découvrent, avec étonnement, par le canal de leurs parents et encadreurs, que dans la société ivoirienne, la fraude et la facilité valent mieux que la sueur.

Moralement répréhensible

Que nul ne s’y méprenne. La présence massive des parents aux abords des centres d’examen ne constitue pas le signe d’un engagement ou d’une implication dans la formation des candidats. Elle trahit un dessein inavouable. Moralement répréhensible.

Invisibles le reste de l’année, certains parents deviennent, le jour de l’examen,  omniprésents dans les écoles. Non pas pour encourager ou soutenir leurs enfants, mais pour orchestrer la magouille, alimenter et motiver la fraude. Avec la complicité agissante de surveillants censés garantir l’intégrité des épreuves, mais qui ne se gênent pas pour la compromettre moyennant quelques espèces sonnantes et trébuchantes. Ce n’est plus un examen. C’est une comédie sociale dans laquelle chacun joue sa partition.

Bien entendu, tous les parents ne cèdent pas à cette dérive, et certains enseignants tiennent encore la ligne. Mais la tendance est suffisamment massive pour être préoccupante.

Derrière cette mobilisation malsaine, nourrie par de noirs desseins, une peur. Non pas celle des candidats, mais celle de certains parents, tenaillés par la peur-panique de voir leurs enfants échouer. Dans une société des apparences, où prévaut la culture du contenant, mieux vaut un succès factice qu’un échec retentissant.

Office de décor

Ce n’est donc pas le déploiement de policiers ou de gendarmes à l’entrée des centres qui viendra dissuader les plus téméraires. Ces agents ne sont d’ailleurs pas des martiens, mais des Ivoiriens. C’est tout dire. Au pays où la corruption fait office de sport-roi, il y a longtemps qu’on a vaincu la peur du gendarme. Sourires complices, poignées de main et tours de passe-passe suffisent à désactiver les instructions de fermeté. Quand la triche est tolérée, la sécurité fait office de décor.

Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Le Cepe mérite-t-il tous ces efforts déployés pour l’obtenir, parfois de manière frauduleuse ? Pourquoi certains parents et éducateurs vont-ils jusqu’à saper leur autorité morale dans une entreprise qui engage leur exemplarité et leur respectabilité ? Que vaut ce diplôme dans le monde d’aujourd’hui ? Le jeu en vaut-il la chandelle ?

Une société de triche

En réalité, la fraude à cet examen sans intérêt notable est symptomatique d’une société encline à la triche, à la fraude, aux petits arrangements avec la vérité. On triche, on ment comme on respire. Par réflexe, par habitude.

Dès l’école, on apprend que contourner les règles est tolérable, voire payant. Plus tard, ces habitudes forgent des adultes à l’aise avec les faux diplômes, les concours truqués, les marchés publics arrangés, les interprétations tendancieuses de la Constitution.

À quel avenir destine-t-on des gamins de 10 ans, biberonnés à la ruse, auxquels on apprend à économiser leurs efforts ? Faut-il encore s’émouvoir de la traque aux faux diplômes dans l’administration, de la fraude aux concours, de la corruption qui gangrène le corps social, de la faiblesse et de l’extrême fragilité des institutions de la République ? Faut-il s’étonner de cette race de décideurs qui signent des conventions payées par l’argent public à leur unique avantage et celui de leurs familles et, poussent l’indécence à communiquer sur leur maladresse ?

Autrefois, les diplômes se méritaient. Aujourd’hui, tout le monde s’en méfie. Les jeunes diplômés sont dépourvus de compétences et de savoir-faire. Leur savoir-être inquiète.

Maux nationaux

La faute à un manque criant de repères, de valeurs et de vertus. Des maux qui rejaillissent sur le fonctionnement de la politique, de l’économie, de l’administration, de la justice. La triche n’est pas un raccourci. C’est une bombe à retardement.

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