Présidentielle 2025 : les PCA paient leur loyauté…
… en espèces sonnantes et trébuchantes !
À quelques jours de l’élection présidentielle du 25 octobre, l’opinion publique a découvert en direct sur les antennes d’une chaine de télévision privée que plusieurs présidents de conseils d’administration (PCA) d’entreprises publiques ivoiriennes à participation majoritaire de l’État ont mobilisé une enveloppe d’environ 100 millions de francs CFA pour soutenir le candidat Alassane Ouattara. Un geste qualifié de « spontané », qui met une nouvelle fois en lumière la perméabilité souvent observée entre les intérêts de l’État et ceux du parti au pouvoir.
Un cadeau loin d’être anodin. Alors que le scrutin du 25 octobre approche, certains responsables d’entreprises publiques ont choisi d’exprimer leur « reconnaissance » envers le président sortant à travers ce don symbolique. Officiellement présentée comme une marque de gratitude, cette initiative suscite néanmoins des interrogations. Plusieurs observateurs y voient l’illustration d’un mélange de genre préoccupant. A la lisière du clientélisme politique.
Assurance déconcertante
Invité le mardi 7 octobre 2025 sur le plateau du Grand Talk de la chaîne Life TV, Antoine Bouabré Gnizako, PCA de la Société pour le Développement des Forêts de Côte d’Ivoire (SODEFOR), par ailleurs président de la conférence des présidents des conseils d’administration, a défendu cette contribution avec une assurance déconcertante. Il a expliqué qu’être nommé à ce poste par le président de la République impliquerait, en retour, une forme de reconnaissance. Il a ajouté que certains titulaires sont susceptibles d’être reconduits en cas de réélection du président sortant. Ce qui laisse supposer l’existence d’un lien implicite entre soutien politique et maintien dans certaines fonctions.
« Témoigner notre reconnaissance »
« Le président de la République vous nomme en tant que président du conseil d’administration. Vous avez des émoluments comme un ministre. Il faut bien lui témoigner notre reconnaissance », a-t-il déclaré. Sans ciller, il a ajouté : « Si le candidat passe, il sera opportun de reconduire certains. » Des propos qui, pour la première fois, assument ouvertement une forme de loyauté politique au sein de la haute administration publique.
« Vote de remerciements »
Les déclarations du PCA de la SODEFOR s’inscrivent dans la même veine que celles de Kandia Camara, directrice centrale de campagne des femmes du RHDP, tenues un peu plus tôt dans la journée du mardi 7 octobre au siège du parti, à la rue Lepic.
Elle y exhortait les militantes à accorder au candidat Alassane Ouattara un « vote de remerciements » lors du scrutin du 25 octobre.
Rhétorique de gratitude
Une rhétorique de gratitude qui s’installe, et qui ne manque pas de soulever des interrogations sur les frontières entre engagement partisan et service public. Au sein du RHDP, le parti au pouvoir, le thème de la campagne qui s’ouvre vendredi prochain semble tout trouvé…
Confusion
Ces déclarations ne manquent pas d’alimenter les critiques sur la confusion persistante entre fonctions publiques et intérêts politiques. Le discours tenu par certains responsables traduit une fidélité institutionnelle susceptible d’être perçue comme financièrement encouragée.
De là à y percevoir un affaiblissement du principe de distinction entre service public impartial et soutien politique conditionné, le pas est vite franchi.
Que dit la loi ?
Au-delà de son aspect moralement discutable, cette démarche pose question, au regard de la législation sur le financement des campagnes électorales en Côte d’Ivoire.
La loi n°2004-494 du 10 septembre 2004 relative au financement sur fonds publics des partis et groupements politiques et des candidats à l’élection présidentielle dispose en son article 13 : « Aucun parti ou groupement politique ne peut recevoir directement ou indirectement des contributions financières ou matérielles provenant de personnes morales de droit public ou de sociétés nationales à participation publique. »
L’initiative évoquée semble donc difficilement conciliable avec l’esprit de cette loi, qui vise à garantir l’équité entre candidats et l’indépendance de l’administration publique.
Compétition biaisée
La privatisation de l’administration publique au profit d’une chapelle politique, si elle venait à se confirmer, constituerait un fâcheux précédent dans la gouvernance publique. Elle risque de biaiser les règles du jeu électoral, en mettant des moyens publics au service du président sortant. Dans un tel contexte, l’égalité entre candidats paraît compromise, et l’alternance devient une hypothèse théorique. En France, un ancien chef d’État a déjà été condamné pour des faits similaires, au nom du principe d’égalité devant la loi. Une jurisprudence qui interroge : quelle portée le droit ivoirien accorde-t-il aujourd’hui à de tels principes ?
Pourquoi pas
Pendant que nous y sommes, la question mérite d’être posée : jusqu’où pourrait aller cette logique de “reconnaissance” ? Après les élus RHDP et certains PCA, d’autres acteurs de la fonction publique – médecins, enseignants, magistrats ou cadres – envisageraient-ils de manifester leur gratitude envers leur candidat de cœur ? Une perspective qui impacterait la neutralité et l’impartialité de l’administration, pilier de toute démocratie équilibrée.



