Institutionnalisons la corruption

Pourquoi ne pas inscrire une ligne supplémentaire dans la loi de finances : « Budget de la corruption : 1 400 milliards FCFA, reconductible chaque année » ? Mieux, La ventiler par ministère, ou mieux encore, l’intégrer au Plan national de développement.

C’est un chiffre qui revient sans cesse comme un mantra dans les discours officiels. 1 400 milliards de FCFA. Depuis 2019, il sert d’indicateur de la déperdition annuelle causée par la corruption en Côte d’Ivoire. Pas un atelier, une conférence, une rencontre institutionnelle, une prise de parole sans que ce montant n’apparaisse.

Rappel

Le 19 août, à la faveur d’un atelier de sensibilisation sur l’importance et les mécanismes de recouvrement des avoirs pour les OSC, organisé par l’Ong Social Justice et le Groupe intergouvernemental d’action contre le blanchiment d’argent en Afrique de l’Ouest (Giaba), l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs criminels (AGRAC) l’a de nouveau rappelé.

Référence

Concedons-le, évaluer l’économie de l’ombre n’est pas une entreprise aisée. Comment comptabiliser pots-de-vin, rétrocommissions, dessous de table et autres faveurs discrètes ? Sur quelles bases ? Selon quels critères objectifs ? Conséquence : le chiffre issu du rapport Risque pays Côte d’Ivoire 2019 de l’agence Bloomfield Intelligence est devenu une référence. Un peu comme si la corruption avait désormais son budget prévisionnel.

Moins coûteux

Le problème n’est pas tant le caractère statique du montant. Au pays du vivre pour manger, il semble moins coûteux, surtout moins fatiguant, de consommer des statistiques que de les produire. Continuons donc d’accommoder les 1 400 milliards de FCFA à toutes les sauces. Considérons-les comme une donnée d’état civil.

Chiffre mythique

À force d’habitude, ce chiffre fonctionne comme un paravent. Chaque année budgétaire, tout le monde sait d’avance qu’il manquera 1 400 milliards. N’est-ce pas merveilleux ? Sous ce prisme, il devient loisible de planifier la distraction de l’argent public en toute quiétude. Après tout, le déficit de probité est déjà comptabilisé, intégré, presque institutionnalisé.

Poste budgétaire

La corruption ne constitue plus un scandale. C’est un poste budgétaire comme les autres. Ce qui renvoie à la ruse de ce directeur de banque victime d’un hold-up de 5 millions qui déclare à sa hiérarchie une perte de 20 millions. Personne ne doute. Il y a bien eu braquage. Chacun sait combien il a encaissé aux dépens de la poule aux œufs d’or.

Failles et fragilités

C’est justement là que réside la permissivité de ce chiffre. Dans ses failles et ses fragilités. De véritables opportunités pour l’ingénierie de la corruption. Transformons l’exception en norme, modélisons le crime et enseignons le en UFR de Sciences économiques. Pourquoi ne pas inscrire une ligne supplémentaire dans la loi de finances : « Budget de la corruption : 1 400 milliards FCFA, reconductible chaque année » ? La ventiler par ministère, ou mieux encore, l’intégrer au Plan national de développement.

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