« Phobie-cratie »
Les manifestations d’un mal-être national
Vive la « phobie-cratie » ! Ce climat politique qui prévaut actuellement. Encourageant la peur plutôt que le bon sens et l’usage des bulletins de vote. N’est-ce pas l’angoisse, le grand vainqueur de l’élection au final ? Par crainte de représailles, on évite de débattre, de faire connaître son opinion, de s’exprimer, de choisir. En Côte d’Ivoire, la peur semble l’institution la plus fiable, la plus solide et la plus stable.
À chaque cycle électoral, le même scénario, la saison des frayeurs électorales. En silence, on fait les provisions, on dépouille les rayons des grandes surfaces, on conseille à ses proches d’en faire autant. Sans se soucier de leur pouvoir d’achat. Les commerçants se frottent les mains et projettent d’avance une hausse des prix. À l’abri des regards indiscrets, les valises se bouclent. Les demandes d’asiles ou de visas s’effectuent discrètement. Les démarches de voyage intérieures aussi. Les familles moins nanties s’activent pour s’éparpiller dans les villages et campements. La grande migration quinquennale prend des allures de réflexe naturel. On aurait dit des essaims de moineaux à l’approche de l’orage.
Tsunami
Chez nous, la présidentielle survient non comme la manifestation de la souveraineté du peuple, mais plutôt comme un tsunami que l’on redoute, tant on en craint le déferlement. Depuis 30 ans, cette panique nationale est devenue endémique.
Principe de précaution
Le principe de précaution commande de réviser ses plans de carrière, d’investissement et d’affaires en tenant compte du calendrier électoral. Reporter une cérémonie de dot ou de mariage relève de la sagesse. Autant que faire se peut, déménager à l’avance est fortement recommandé surtout si l’on habite un quartier chaud. « Tu comptes rester à Abidjan pendant les élections ? » La question ne manquera pas de vous pendre au nez, si vous faites preuve d’un peu trop de sérénité… Se réconcilier avec Dieu, par le canal du jeûne et de la prière, n’est pas de trop, dans l’attente du déluge. On ne sait jamais.
Régime politique
Vive la « phobie-cratie » ! Ce climat politique qui prévaut actuellement. Encourageant la peur plutôt que le bon sens et l’usage des bulletins de vote. Sous cet empire, les programmes politiques et les projets de société pèsent moins lourds que les prédictions et les pronostics de chaos. Tout parieur qui miserait là-dessus est certain de rafler la mise. N’est-ce pas l’angoisse, le grand vainqueur de l’élection au final ? Par crainte de représailles, on évite de débattre, de faire connaître son opinion, de s’exprimer, de choisir.
Dissuasion sociale
« La Plcc vous guette. Vous n’allez pas enlever votre bouche dans leur affaire de politique-là ! Attention à ce que vous dites en public… certaines opinions peuvent avoir des conséquences inattendues. On n’envoie pas riz gras à quelqu’un à la MACA. » Ces avertissements, réels ou imaginés, façonnent les comportements, créent une culture de réserve et de prudence.
Le pouvoir au peuple ?
Pendant que le peuple entretient ses phobies avec une docilité remarquable à faire pâlir d’envie Scoobidoo, le héros de la série animée éponyme, la classe politique doit certainement se tordre de rire devant ce spectacle pathétique. À la limite du pitoyable. Le pouvoir au peuple ? Vraiment !
Peur et désintérêt
La peur s’est installée durablement dans la République et le courage citoyen collectif a baissé pavillon ! Certains électeurs, désabusés, ne jugeront même pas utile d’aller voter, le 25 octobre. Évidemment que la peur et le désintérêt permettent de se défausser de ses responsabilités plus tard. « Tout ça, c’est la faute aux politiciens ». La formule est moins fatigante, avouons-le. Et puis, elles offrent un confort évident. L’assurance de tenir quelque chose. Une fausse certitude… Ainsi se succèdent les cycles électoraux. Sur un air de déjà-vu. Ensuite ça recommence.
La « phobie-cratie » est un état d’âme national, une attitude, un comportement. En Côte d’Ivoire, la peur semble l’institution la plus fiable, la plus solide et la plus stable.

