Parole donnée…

Et si c’était ça le nouveau contrat social ivoirien ? Un contrat oral multi-usage dans lequel la parole peut être donnée… la reprise acceptée.

“Les années passées à la tête de notre pays m’ont fait comprendre que le devoir peut parfois transcender la parole donnée de bonne foi.”

Ainsi s’exprimait le président Alassane Ouattara dans sa déclaration télévisée du 29 juillet 2025, diffusée depuis Abidjan, officialisant sa candidature à un quatrième mandat. Une phrase forte, qui fait office de mea culpa et d’aveu. Sonnant comme un verdict : l’appel du devoir transcende la parole donnée. Excellent sujet de philosophie à soumettre aux candidats au baccalauréat 2026.

Ce postulat nous ramène au bon souvenir du chancelier prussien (Ndlr : actuelle Allemagne) Otto Von Bismarck (1815-1898), maître du réalisme politique, la realpolitik, et sa non moins célèbre formule : “La force prime sur le droit.”

Pour mémoire, en 2020, il assurait qu’il lui serait difficile, voire impossible, de briguer un 4ème mandat, évoquant son souhait de transmettre le pouvoir à une nouvelle génération.

Cette déclaration soulève donc, au-delà de la sphère politique, une véritable question de morale publique et d’exemplarité pour les jeunes générations.

Faudrait-il enseigner à nos enfants et petits-enfants qu’à l’épreuve des responsabilités, on peut ne plus se distinguer comme des hommes de parole ? Qu’on peut promettre de bonne foi aujourd’hui, et estimer n’être nullement tenu demain, en se réfugiant derrière l’appel du devoir ?

La question du respect des engagements ne relève pas seulement d’une simple exigence démocratique. Elle touche au socle fragile d’une société en transition vers la confiance, dans un environnement où la confiance des citoyens dans leurs institutions est mise à rude épreuve.

Les Saintes Écritures sont unanimes et formelles : « Au commencement était la Parole, et la Parole était avec Dieu, et la Parole était Dieu. » révèle la Bible en Jean 1:1.

Pour sa part, le Saint Coran indique : « Quand Il veut une chose, Son ordre consiste à dire : « Sois », et elle est » (Sourate Yâ-Sîn, 36:82).

Dans la Torah : « Dieu dit : que la lumière soit. Et la lumière fut. » (Genèse 1:3).

Pour les trois Livres saints, la parole est création, autorité, engagement.

Peut-être avons-nous été naïfs. La parole politique tranche avec un contrat. Il s’agit d’une promesse flexible, malléable. Les circonstances imposent donc de s’adapter.

Ses partisans saluent un sens aigu du sacrifice d’État, justifient ce renoncement à l’engagement initial par l’appel pressant du peuple. Si les citoyens – une catégorie – applaudissent, la rupture n’est plus trahison, mais clairvoyance. Pourquoi pas ?

Certainement qu’au sein des institutions scolaire et universitaire, il faille opérer un changement de paradigme. Désormais enseigner que tenir sa parole est facultatif, dire une chose aujourd’hui avec conviction, puis agir à son contraire demain. Qu’un bon responsable sait parfois “s’affranchir de ses engagements pour la bonne cause”.

L’éthique protestante et l’esprit du capitalisme aurait-il eu tort de lier la crédibilité à la rigueur morale, comme l’expliquait Max Weber ?

Singapour, qui a bâti son attractivité sur le respect absolu de la parole publique, aurait-elle mal compris les vertus du “devoir supérieur” ?

Quel regard auront désormais les voisins, les partenaires, les investisseurs, sur un pays où la parole donnée peut être ainsi réversible ? Une société qui juge acceptables ses reniements peut-elle continuer d’inspirer confiance ?

Et si c’était ça le nouveau contrat social ivoirien ? Un contrat oral multi-usage dans lequel la parole peut être donnée…la reprise acceptée. Sans rancune !

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *