L'Editorial

Violence structurelle

Le prix à payer ?

Cinq fois de suite, il est temps de se résoudre à l’évidence. La violence électorale en Côte d’Ivoire ne relève plus d’un simple accident de parcours ou d’un dysfonctionnement. C’est une habitude, une culture politique.

Il était attendu de tous. À la faveur de la réunion du Conseil national de sécurité du 13 novembre, le pays a enfin vu tomber le bilan 2025 de sa comptabilité électorale macabre. 11 morts, 71 blessés, 1 658 interpellations.

Pudeur administrative

On appelle cela des “incidents”, des “troubles”. Une pudeur administrative dénuée de compassion, quand nul n’ignore que derrière ces chiffres, ce sont des vies éteintes, des familles dévastées… Au fil des cycles électoraux, la tragédie s’est durablement incrustée dans le corps social.

Destin électoral

5 morts en 1995. 300 en 2000. 3 000 en 2010. 85 officiellement en 2020.

Le destin électoral de ce pays serait-il gravé dans la pierre ? Comment un scrutin censé incarner l’espoir d’un peuple souverain glisse-t-il, à chaque fois, vers cette comptabilité funèbre ?

Est-ce la politique ?

Cette constante et récurrente montée de tension, en totale contradiction avec l’enjeu du scrutin, s’accompagne d’affrontements dont les populations sont les premières victimes… est-ce cela, la politique ?

Culture politique

Que retenir de cette n-ième incapacité à organiser un scrutin sans mort ? Cinq fois de suite, il est temps de se résoudre à l’évidence. La violence électorale en Côte d’Ivoire ne relève plus d’un simple accident de parcours ou d’un dysfonctionnement. C’est une habitude, une culture politique, une tenace malédiction nationale.

Déchirement républicain

D’hier à aujourd’hui, chaque camp, tour à tour vainqueur et victime, cultive la rancune comme nos braves paysans cultivent le cacao. Ce que l’on appelle “incident” devrait être nommé par son vrai nom : déchirement républicain. Rien de moins.

La nation comme projet est en lambeaux, dans un état comateux.

Au sein de notre société, s’est développée de manière insidieuse une banalisation de la violence, une inclination à rendre tolérable l’intolérable, acceptable l’inacceptable.

Arène pour gladiateurs

D’où vient cette déviance quasi-collective à convertir la divergence en fracture, le débat en confrontation mortelle, l’adversaire démocratique en ennemi à réduire au silence ?

À quel moment la politique, censée réguler pacifiquement le contrat social, s’est-elle muée en arène pour gladiateurs ?

Quel avenir ?

Une société peut-elle durablement prospérer dans l’unanimisme ? Ce refus du penser différemment, cette tentation de confondre cohésion et silence, harmonie et uniformité ? Quel avenir se construit lorsque l’allergie au pluralisme atteint son paroxysme, lorsque la contradiction est vécue comme une menace plutôt qu’une richesse ?

Faudrait-il considérer les pertes humaines comme un prix à payer acceptable, une sorte de taxe macabre pour se voir décerner le label de démocratie tropicalisée ? Au point de trouver suspect, presque anormal, un scrutin où pas une seule goutte de sang ne serait versée.

Anémie existentielle

Un pays ne meurt pas en un jour. Il s’effrite lentement, à force de violences structurelles répétées. Un matin, c’est sûr qu’à force de couler, le sang manquera pour irriguer nos élections confligènes. Alors l’âme même de la nation — ou ce qu’il en restera — va finir par s’évaporer.

Aucune nation ne survit à cette anémie existentielle. Aucune !

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