L'Editorial

Ça nous arrange

La corruption, les passe-droits, l’indignation sélective… si tout cela persiste, c’est que, quelque part, collectivement, ça nous arrange !

Il a suffi que la toile se lève comme un seul homme, crie sa réprobation, pour que le district autonome (?) d’Abidjan rapporte sa décision portant interdiction de voir circuler les motos et tricycles sur certaines artères de la capitale économique. Pas de grands discours, marches de contestation, actes d’incivisme, destruction de biens publics, mort d’hommes. Rien ! Juste dire non à une initiative administrative perçue comme illégale et arbitraire pour assister à un instant de démocratie, la veille de la cérémonie d’investiture de notre président pour un 4ᵉ mandat.

La pression populaire, la force de l’opinion, a réussi à produire ce que mille auditions parlementaires, même si elles en avaient l’audace, seraient incapables d’obtenir :  faire plier une autorité convaincue d’agir en toute légitimité. Leçon des choses : aucun acteur politique ne peut imposer sa volonté à un peuple qui n’en veut pas. Aucun !

Les abus et injustices, la corruption et les détournements au sein du corps social, ne prospèrent qu’en raison de notre volonté collective à s’en accommoder. Ils sont admis, tolérés, excusés !  Ces dérives relèvent d’une certaine normalité. Comme payer pour être admis à un concours d’accès à l’emploi public, graisser la patte à un fonctionnaire de police ou à un agent de la maréchaussée lors d’un simple contrôle de routine, mettre au point une ingénierie de la prévarication et de détournement des ressources publiques.

Le dernier épisode en date étant l’interpellation, à sa descente d’avion, du DAF du ministère de la Santé, révélée par www.letau.net depuis le 27 novembre, et qui a subitement suscité un emballement médiatique tout le long du week-end écoulé, comme s’il s’agissait d’une nouveauté. La corruption, les passe-droits, l’indignation sélective… si tout cela persiste, c’est que, quelque part, collectivement, ça nous arrange !

Cela perdure parce que cela arrange tout le monde. Du sommet au bas de l’échelle, sans exception. On ne s’en plaint et l’on ne crie son exaspération que lorsque nous-mêmes, ou un proche, quelqu’un qu’on connaît, en est victime.

L’engagement à se dresser contre la prohibition faite aux motos et tricycles est à décrypter à la lumière des solutions que ces véhicules apportent non seulement à la question de l’emploi des jeunes, mais aussi — et surtout — à celle de la circulation dans le Grand Abidjan. Une convergence parallèle d’intérêts pour une fois.

Sans vouloir heurter la fibre patriotique circonstancielle qui palpite parfois dans le cœur de certains compatriotes, force est d’admettre qu’à ce rythme, et à l’aune de nos intérêts partisans, notre pays est bien parti pour rester sous la surveillance du gendarme de la finance mondiale : le GAFI.

Une raison de plus qui justifie le lancement, ce lundi 08 décembre, de la première session du Programme Transparence Média, initié par www.letau.net avec l’appui financier du National Endowment for Democracy, une ONG américaine soutenue par le congrès et qui milite pour la promotion de la gouvernance démocratique. À travers la thématique Analyse budgétaire et techniques d’enquête financière, l’enjeu est d’ériger en culture la transparence des finances publiques, au nom de l’intérêt général, auquel le préfet de région de la Marahoué, préfet du département de Bouaflé, Gonbahi Gueu Georges, a appelé de tous ses vœux au cours de l’entretien qu’il a accordé au site d’investigation le 25 novembre, à la faveur d’une enquête sur l’orpaillage illégal comme moyen de blanchiment d’argent à Angovia.

Un chantier presque vital, dans une société qui ne sait pas toujours se mobiliser pour les causes majeures.

Ancien résistant, diplomate, co-rédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme, Stéphane Hessel publiait en 2010, dans un opuscule d’à peine une trentaine de pages intitulé Indignez-vous, un appel à une vigilance citoyenne permanente et à la révolte contre l’injustice, l’indifférence et le renoncement moral. Défendant l’idée simple et explosive que la résignation est la pire des abdications, et que s’indigner est le premier acte de résistance dans une démocratie qui se délite.

Au-delà des motos, accepterons un jour de nous indigner aussi pour l’intérêt général ?

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