Eliane N’guessan : en toute intimité

Ses blessures, ses combats, ses convictions Ses blessures, ses combats, ses convictions

Dans le prolongement de la critique de son œuvre Larmes de sang, Eliane Ayetcho N’guessan a accordé, via WhatsApp, un entretien à letau.net le 17 juillet dernier. L’écrivaine revient sur ses fragilités. Entre mémoire intime, chronique sociale et combats en faveur des plus vulnérables de la société.

De la disparition brutale du père survenue trop tôt, il ne lui reste que des bribes de souvenirs précieusement enfouis dans le marbre de son imaginaire. De son mariage subsiste la morsure d’une illusion. Aujourd’hui retraitée, Éliane N’Guessan Ayetcho revisite, avec une rare intensité, des pans de sa trajectoire existentielle. La parole directe, sans tabou, dérange autant qu’elle libère.

L’absence du père

 Au départ une tragédie : l’accident mortel du père. L’enfant de cinq ans n’a pas eu le temps de le connaître. « On ne fait pas le deuil d’un visage qu’on a à peine vu. On avance, mais handicapée », confie-t-elle. Cette fracture à l’origine de la déstructuration de l’univers familial, s’accentue avec la fragilité maternelle. C’est la colonne vertébrale de Larmes de sang.

Cinq en un !

Cet épisode douloureux, Eliane le partage avec quatre autres femmes rencontrées au fil de sa vie. Toutes ont connu le martyre, l’abandon, la perte, la trahison. Elle choisit de porter leur parole : « Elles ne se sont pas confiées pour que je les expose, alors j’ai pris tout sur moi. » Promesse tenue. Larmes de sang est une autobiographie à cinq voix fondues en une seule, celle de la narratrice.

 Le style

 Comme dans la plupart de ses œuvres, le style est « simple, direct ». Eliane écrit comme un cœur qui saigne… avec des mots de tous les jours. Casanière, elle avoue ne pas avoir d’ami(e).

Ses sources d’inspiration proviennent de l’observation du quotidien et des faits les plus simples.

Elle évoque Mariama Bâ et Ken Bugul comme modèles d’une écriture sans fioritures. Le texte est traversé de plaintes et de complaintes. Une litanie assumée : « Ma vie s’est déroulée ainsi », lâche-t-elle.

Loin de rechercher l’effet littéraire, elle veut que chacun s’y reconnaisse ou y reconnaisse un proche.

Processus non achevé

Ce dépouillement se drape des attributs de la nécessité. L’écriture devient une thérapie. « Le processus n’est pas achevé, mais je me sens mieux », confesse l’auteure, dont l’authenticité capte et happe.

Sa fille cadette a pleuré en découvrant cette ombre longtemps tue.

Un lecteur peu enclin à lire s’y est accroché jusqu’à tard dans la nuit. Soucieux de découvrir le fin mot de l’histoire.

Illusions perdues

 L’auteure croyait pouvoir se reconstruire en fondant sa propre famille : « Je me disais : le mariage, c’est moi qui vais le faire, ma famille, mon monde. J’espérais recréer mon bonheur. (…) Partir handicapée parce qu’on n’a pas connu son père, et vouloir être doublement armée pour que ses enfants n’aient pas à vivre ce traumatisme. Alors on se dit, autant faire comme tout le monde : se marier, avoir un enfant dans le foyer pour qu’ils aient un père qu’on n’a pas eu. Sauf que le mariage devient un piège. Les enfants sont déjà là, le traumatisme de l’absence paternelle ressurgit. »

Illusions perdues. La solitude dans le couple fait remonter les blessures originelles. En se battant pour sortir de ce piège, elle mesure la capacité de résilience de l’être humain.

Dire le choc

 Le livre transpire la douleur et les frustrations. Il traduit le choc et les traumatismes. Au début, l’auteure parle du père, « l’homme dans toute sa magnificence ». Elle dresse ensuite, avec l’époux sous influence du meilleur ami qui vit et respire marabout, un réquisitoire à charge. « J’ai voulu écrire comme je le ressentais », declare-t-elle.

Assumant l’image d’Épinal du défunt père. N’ayant pas eu l’opportunité d’en découvrir les défauts, elle choisit de ne retenir que le meilleur… « pour avancer ».

 Foi en Dieu

À ceux qui interrogent ses intentions, elle répond : « ni provoquer, ni émouvoir. Je veux juste dire la vérité. » Une vérité qui produit une onde de choc. Au bout du tunnel jaillit une étincelle. « Je crois fortement en Dieu », justifie-t-elle. Sa foi catholique, incarnée par la figure de saint Joseph, est le refuge qui l’a aidée à ne pas sombrer : « Le père que je n’ai pas eu, c’est lui. Et il ne m’a jamais, jamais déçue. »

En Afrique, la mort précoce d’un parent est souvent minimisée. « On se dit qu’un enfant orphelin va grandir, oublier. C’est faux. Il faut le dire, pour qu’on y pense. » Larmes de sang brise ce silence.

Que sont devenus les autres enfants du père ? « Ils vont très bien. Dieu merci, ils s’en sont très bien sortis. Ils sont une force pour moi. Ils étaient présents à la dédicace, parmi les premiers », raconte l’auteure. L’un d’eux lui a lancé : « Quand je regarde Larmes de sang, je suis sûr qu’on va se retrouver. » Demain ne meurt jamais.

Livre à offrir

Pour elle, Larmes de sang est un livre à offrir à toutes les femmes qui se préparent au mariage. Même s’il peut être dissuasif. Mieux vaut savor…Eliane n’est pas seule dans ce naufrage. Deux des femmes dont elle raconte l’histoire sont mortes dans des circonstances inexpliquées. Une autre a sombré dans la folie. La dernière a été arrachée à un mari toxique par sa fille aînée, qui estimait que ç’en était trop !

 Engagement perpétuel

 Éliane a fondé l’ONG Lire ensemble pour doter les écoles défavorisées de bibliothèques : « Quand on a les mots pour exprimer ce qu’on veut, on tourne définitivement le dos à la violence », souligne-t-elle.

L’association est aujourd’hui en veille. Faute de relais sur place. L’objectif et l’engagement restent cependant intacts : rapprocher les enfants des mots, leur offrir au moins un dictionnaire afin qu’ils s’éloignent des maux.

Son engagement se prolonge dans un projet littéraire consacré à cinq figures féminines meconnues des luttes africaines d’indépendance. « Je veux montrer aux jeunes filles que quand on veut, on peut. » Explique-t-elle

Défis

En ce qui concerne les défis auxquels sont confrontés les écrivains en Afrique, bien qu’éloignée, elle a conscience qu’il est difficile de vivre de son art. « Il faut aimer et se sacrifier pour être auteur en Afrique », constate-t-elle. À ce propos, elle insiste sur un point : l’une de ses œuvres, pourtant au programme scolaire en Côte d’Ivoire, ne lui rapporte rien. « Absolument rien ! » Message transmis à l’éditeur.

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