Côte d’Ivoire : Ces événements qui ont précédé la disgrâce et l’exil de Guillaume Soro
Le bois sec pourrait connaître le même sort
Entre loyauté, méfiance et déclin, le chemin emprunté par Guillaume Soro illustre à lui seul les soubresauts de la politique ivoirienne après la crise post-électorale de 2011. Pilier incontournable du régime Alassane Ouattara à ses débuts, cet ex-chef rebelle, devenu successivement Premier ministre, ministre de la Défense puis président de l’Assemblée nationale, a vu son influence s’éroder à mesure que les tensions internes et les calculs politiques prenaient le dessus. De la mutinerie de 2017 à son exil forcé, cette disgrâce est riche d’enseignements.
La marche programmée du Front Commun le 8 novembre 2025, la nième du genre dans un contexte assez délicat et surtout contre un régime qui n’hésite pas à prendre la mouche, rappelle utilement le cas Soro. De mémoire, il devrait interpeller les membres du Front Commun.
Sa trajectoire, digne d’un récit mêlant action et drame, illustre les hauts et les bas d’une carrière marquée par de fortes ambitions et des ruptures stratégiques. De chef rebelle à homme d’État influent occupant les postes les plus prestigieux, Guillaume Soro a captivé par son ascension fulgurante, incarnant tour à tour l’espoir, la loyauté envers le régime, puis la menace potentielle.
Début de disgrâce
Son exil actuel n’est pas un simple coup du sort. C’est le résultat d’une conjonction de facteurs entamés bien plus tôt. Le dénouement d’un processus amorcé avec la mutinerie de janvier 2017. Mutineries de 2017 en Côte d’Ivoire — Wikipédia Ce moment clé a marqué une fracture irréversible dans sa relation avec le pouvoir, signant le début d’une série d’événements qui ont précipité sa chute.
Protestation
Le 6 janvier 2017, une protestation éclate à Bouaké, la deuxième plus grande ville du pays et ancien bastion des ex-rebelles. Des soldats mutins prennent le contrôle de la ville après avoir attaqué plusieurs postes de police. Le mouvement se propage rapidement à d’autres localités comme Daloa, Daoukro et Korhogo. Selon Alain‑Richard Donwahi, ministre de la Défense, les militaires réclament des primes, des augmentations de salaire et des promotions accélérées. Bien qu’il reconnaisse que leurs demandes soient « compréhensibles », il les juge regrettables. Côte d’Ivoire : comment les mutins ont fait plier le gouvernement
Le gouvernement avait promis alors une prime exceptionnelle de 12 millions de F CFA à chacun des 8 400 ex-rebelles intégrés. Une avance de 5 millions avait été aussitôt versée et le solde devait être payé progressivement à partir de fin mai. Mutineries en Côte d’Ivoire : qui sont les 8 400  soldats qui défient régulièrement le pouvoir depuis 2014 ?   
Tirs sporadiques
Le 7 janvier, des échanges de tirs sporadiques sont encore signalés à Bouaké et à Man, dans l’Ouest. À Abidjan, certains soldats basés à Akouédo manifestent en tirant en l’air et en érigeant des barrages. Dans la foulée, Ouattara, qui répondait à l’invitation du président ghanéen Nana Akufo‑Addo en qualité d’invité d’honneur à sa cérémonie d’investiture, s’empresse de rentrer. Contrairement aux habitudes protocolaires, c’est Guillaume Soro qui part, en personne, accueillir le chef de l’État. L’objectif est clair : rassurer Alassane Ouattara, qui annonce son accord pour répondre aux revendications des mutins. Après plusieurs heures de discussions entre le ministre de la Défense et les soldats, un compromis est trouvé à Bouaké. Le lendemain, le mouvement cesse. Le 13 janvier, à la suite de nouvelles tensions et d’échanges de tirs dans différentes casernes du pays, un accord définitif est signé.
Incidents similaires
Le 17 janvier, la situation s’envenime à Yamoussoukro. Des incidents similaires éclatent dans six autres villes du pays. Le 7 février, la révolte gagne les Forces spéciales stationnées à Adiaké, à environ 90 km d’Abidjan. Leurs revendications s’arrêtent deux jours plus tard. Cependant, le 21 février, un commando armé attaque une brigade de gendarmerie à Bingerville, entraînant deux blessés.
Mise en scène
Le 11 mai, lors d’une cérémonie officielle en présence du président Ouattara, un porte-parole des soldats annonce qu’ils renoncent à leurs revendications financières. Cette mise en scène télévisée laisse croire à la fin de la mutinerie, mais la contestation persiste en coulisses. La déclaration du soldat Fofana déclenche une nouvelle vague de colère. Dès le lendemain, ses frères d’armes investissent les rues d’Abidjan, Bouaké et Korhogo, exigeant cette fois le règlement des primes restantes promises en janvier. Le 15 mai 2017, Abidjan est gagnée par la contestation, avec des détonations provenant du camp militaire d’Akouédo, la plus grande caserne du pays. Mutineries de 2017 en Côte d’Ivoire — Wikipédia
Climat de suspicion
Persuadé d’avoir rétabli l’ordre, le pouvoir croit maîtriser la situation. Pourtant, la crise nourrit un climat de suspicion au sommet de l’État. Guillaume Soro est soupçonné d’être lié aux mutineries qui secouent le pays. Cet épisode marque le début d’une rupture de confiance entre les deux hommes et ouvre une nouvelle phase de tensions politiques en Côte d’Ivoire. Côte d’Ivoire : les conséquences de la mutinerie pourraient peser sur le futur
Caches d’armes
Dans un climat empreint de suspicion, une découverte vient aggraver la situation. Dans la nuit du 14 au 15 mai 2017, des caches d’armes sont retrouvées dans des propriétés appartenant à des proches de Guillaume Soro, notamment chez Souleymane Kamagaté, surnommé « Soul To Soul », ancien chef du protocole de l’Assemblée nationale. Selon le procureur Richard‑Christophe Adou, ces caches contenaient plus de six tonnes d’armes de guerre et de munitions, incluant des mortiers de 60 mm, des fusils d’assaut AK-47, des missiles SAM-7 et des lance-roquettes RPG-7. Côte d’Ivoire : comment les mutins ont fait plier le gouvernement
Réserve providentielle
En pleine mutinerie à Bouaké, certains soldats en ébullition auraient utilisé cette réserve providentielle. Le lundi 9 octobre 2017, Touré Moussa, responsable de la communication auprès du président de l’Assemblée nationale, annonce l’arrestation de Souleymane Kamagaté, alias Soul To Soul, qui s’est présenté le jour même à la brigade de recherche de la gendarmerie en réponse à une convocation liée à la découverte des armes. Cette affaire fait grand bruit et alimente la thèse d’un complot contre l’État. L’accusation d’« atteinte à la sûreté nationale » devient l’outil juridique marquant un tournant décisif dans le sort de Guillaume Soro. Côte d’Ivoire – Affaire cache d’armes : le chef de protocole de Soro Guillaume coincé | Africanews
Problème politique
Le président de l’Assemblée nationale devient dès lors un problème politique à gérer : trop populaire, trop jeune, trop indépendant. Son refus d’adhérer au Rassemblement des houphouëtistes pour la démocratie et la paix (RHDP) unifié servira de prétexte à son exclusion. Le 26 janvier 2019, il fonde son mouvement Générations et Peuples Solidaires (GPS). Cette déclaration, perçue comme un acte d’émancipation politique, irrite le camp présidentiel. En Côte d’Ivoire, un proche de Guillaume Soro condamné à cinq ans de prison. Adama Bictogo, président du comité d’organisation du congrès du RHDP, déclare que ceux qui n’adhèreront pas au parti unifié devront libérer le tabouret le 27 janvier 2019.
Démission
Message parfaitement reçu. Le vendredi 8 février 2019, Guillaume Soro annonce son départ du perchoir, cédant sous la pression d’un régime peu enclin à tolérer toute autonomie politique. Mis en difficulté par ses anciens alliés, il convoque une session extraordinaire pour officialiser sa décision. À ce moment-là, il déclare avec assurance : « Je rends ma démission. » Il précise avoir multiplié les rencontres avec le président de la République en janvier pour discuter de son positionnement idéologique vis-à-vis du RHDP. Guillaume Soro confie avoir été face à un dilemme : renier ses convictions pour préserver un poste prestigieux ou se démettre pour demeurer fidèle à lui-même. Après ce discours concis, salué par des applaudissements nourris, l’ancien président de l’Assemblée nationale quitte les lieux au volant de son véhicule personnel.
Pré-campagne
En avril 2019, Guillaume Soro entame une tournée dans le nord du pays, un déplacement aux allures de pré-campagne présidentielle. Visant désormais l’élection de 2020, il ambitionne de proposer une « nouvelle offre politique » aux Ivoiriens, bien que les contours de cette initiative restent flous. Naturellement, cette tournée n’est pas du goût du RHDP. La coalition gouvernementale envoie même un émissaire sur le terrain pour répondre à certaines critiques formulées par Guillaume Soro lors de son passage dans la région.
Dès lors, le divorce est consommé. L’ancien Premier ministre, autrefois présenté comme « le fils spirituel du président », devient un adversaire politique déclaré. Le dispositif visant à neutraliser Guillaume Soro avant 2020 se met en marche. Ses partisans dénoncent une surveillance accrue, des intimidations et des pressions administratives.
Mandat d’arrêt
En décembre 2019, alors qu’il cherche à retourner en Côte d’Ivoire pour lancer sa campagne présidentielle, l’avion de Guillaume Soro est redirigé vers le Ghana. À l’aéroport d’Abidjan, les forces de l’ordre sont massivement déployées. D’autres encerclent le siège de son parti, situé à proximité de l’ambassade américaine à Cocody. Des gaz lacrymogènes sont utilisés contre ses partisans. Ces forces interviennent avec fermeté dans les locaux, où le porte-parole du mouvement, le député Alain Lobognon, venait de tenir une conférence de presse. Un mandat d’arrêt international est rapidement émis contre Guillaume Soro. Plusieurs de ses proches sont également visés. Côte d’Ivoire : Guillaume Soro condamné à la prison à perpétuité
Stratégie d’asphyxie
À la fin de 2019, la répression prend une dimension personnelle. Guillaume Soro et ses proches deviennent de plus en plus isolés. Ses collaborateurs sont arrêtés, ses bureaux perquisitionnés, ses comptes gelés. En 2020, son frère cadet, le commissaire Simon Soro, est arrêté, placé en détention et accusé d’être l’un des maillons d’un réseau de soutien. En Côte d’Ivoire, des peines de prison pour des proches de Guillaume Soro Affoussiata Bamba Lamine, ex-ministre de la Communication, est à son tour entendue par la gendarmerie. La stratégie d’affaiblissement s’intensifie.
Exécution judiciaire
En avril 2020, Guillaume Soro est condamné à vingt ans de prison ferme par contumace. Après un procès expéditif de quelques heures, l’ancien Premier ministre se voit infliger une amende de 4,5 milliards de F CFA (environ 6,8 millions d’euros) pour recel de détournement de deniers publics et blanchiment de capitaux. Le tribunal correctionnel d’Abidjan le prive également de ses droits civiques pendant cinq ans et l’oblige à verser 2 milliards de F CFA en dommages et intérêts au Trésor public. https://www.africanews.com/2020/04/29/former-ivorian-prime-minister-guillaume-soro-jailed-20-years-for-corruption/?utm_source=chatgpt.com
La justice l’accusent d’avoir acquis, en décembre 2007, une résidence située à Marcory Résidentiel pour un montant de 1,5 milliard de F CFA, acquisition qui aurait été financée grâce à des fonds publics. En juin 2021 : la sentence se durcit. Guillaume Soro est cette fois condamné à la réclusion à perpétuité pour « atteinte à la sûreté de l’État ».
Liquidation politique
Pour de nombreux observateurs, cet enchaînement de décisions judiciaires dépasse le cadre du droit et traduit une volonté politique de marginaliser un rival encombrant. La mutinerie de 2017, qui avait ravivé de profondes craintes au sein du pouvoir, aura fourni le terrain d’une méfiance durable à l’égard de Guillaume Soro et de son mouvement. Ce pan de l’histoire récente de notre pays devrait résonner comme un rappel à l’attention du Front Commun. Un signal clair pour qui veut bien le comprendre. Ce qui est arrivé au bois vert… faut-il vraiment être devin pour imaginer que le bois sec pourrait connaître le même sort ?

