
Angovia : « On préfère traiter avec les orpailleurs illégaux que l’État ! » (Première partie)
À Angovia, dans le centre-ouest de la Côte d’Ivoire, l’orpaillage illégal est officiellement en régression en cette fin novembre 2025, à la faveur d’opérations de démantèlement et de l’acquisition de la quasi-totalité des terres du village par Perseus Mining. Mais des poches résiduelles continuent d’alimenter une économie parallèle profondément enracinée, née bien avant la colonisation, prolongée sous l’administration coloniale puis après l’indépendance, et qui s’est adaptée plus vite que les politiques publiques censées la formaliser. Ce décalage explique en grande partie pourquoi, à Angovia et dans les environs, la confiance de nombreux propriétaires terriens va plus volontiers aux orpailleurs illégaux qu’à l’État ou à la compagnie minière.

Laveuse d’or sur un site d’orpaillage illégal jouxtant la clôture de Perseus Mining. Crédit photo : Bony Valéry
Dans une fosse noyée d’eau boueuse, face à la clôture de Perseus, Yah O., laveuse d’or, s’acharne à laver des bassines de terre pour arracher quelques grammes du métal jaune. Pour pouvoir travailler, elle verse chaque semaine une contribution au chef de site qui contrôle l’accès au gisement, tandis que le produit de sa récolte finance notamment la scolarité de sa fille à Bouaké. Autour d’elle, une ancienne plantation cacaoyère abandonnée est éventrée par des trous qui peuvent atteindre plus de vingt mètres de profondeur, signe tangible de l’empreinte laissée par des années d’exploitation artisanale. Un peu plus loin, à l’entrée du site, un adjudant-chef de gendarmerie, assis sur une chaise plantée dans la broussaille, tient un simple cordon qui fait office de péage pour les motos-taxis, tricycles et tracteurs qui circulent entre Angovia et Kouakougnanou.
Quand l’illégal se transforme en recette locale
À Angovia, l’activité est certes en baisse, mais certains réflexes, profondément ancrés dans le corps social ivoirien, persistent. Ils sont incarnés par la présence, face à la clôture de la mine officielle, d’un officier subalterne de la gendarmerie nationale, installé là avec un simple cordon faisant office de barrière. Un péage de fortune, sans guérite ni reçu. Comme la latérite rouge ocre, la poussière et le ballet incessant des motos-taxis et tricycles, le gendarme – à la fois discret et parfaitement visible – fait désormais partie du décor.
Une pièce maîtresse du paysage local, connue de tous, comme l’ont confirmé plusieurs entretiens. Sa présence illustre le décalage entre les discours officiels sur la lutte contre l’orpaillage illégal et la réalité du terrain. Ici, point de dissuasion. À demi-mot, l’adjudant-chef consent à la poursuite des circulations en échange de quelques billets. Pas de contrôle de papiers, pas de sermon, encore moins de procès- verbal. Les motos-taxis, tricycles et tracteurs qui relient Angovia à Kouakougnanou savent à quoi s’en tenir s’ils veulent circuler en toute quiétude.
Dans ces conditions, l’illégal se transforme en recette locale au nom de l’Etat, entre ordre public proclamé et artisanat fiscal assumé.

Sur la voie qui sépare la mine légale des sites non autorisés, les tricycles circulent en toute quiétude et en permanence. Crédit photo : Bony Valéry
Officiellement, les autorités villageoises et communautaires, à commencer par le chef Diby et Augustin Houphouët, dit Vieux Lion, président du comité consultatif communautaire, se félicitent d’une baisse de l’activité illicite grâce à la sensibilisation, aux opérations de démantèlement et à la mainmise foncière de Perseus.
Vincent, un ancien « clando » ( ndlr : orpailleur illégal) reconverti en agent de santé communautaire, raconte avoir quitté l’orpaillage après une chute dans une fosse en tentant d’échapper à une opération de gendarmerie. Pourtant, malgré les risques et les arrestations, de jeunes hommes physiquement robustes continuent de verser des sommes hebdomadaires au chef de site pour exploiter des poches résiduelles dans les bas-fonds ou les galeries, pendant que des femmes, souvent venues d’ailleurs, pratiquent le « trèmè » , une technique consistant à vanner la terre sèche à la calebasse. Sept kilomètres plus loin, à Kouakougnanou, le vrombissement continu des motopompes annonce un tout autre rythme : l’activité illicite y tourne à plein régime, sans que les orpailleurs ne semblent redouter les passages répétés des motos-taxis et des rares véhicules.

A l’entrée du village de Kouakougnanou, les motopompes n’ont pas de répit. Crédit photo : Bony Valéry
Un habitant de Kouakougnanou confie que 98% de l’activité économique locale dépend de l’orpaillage illégal, des maisons en dur aux petits commerces, en passant par les revenus saisonniers des élèves pendant les vacances. La cacao-culture, dit-il, ne permet pas d’atteindre la même autonomie financière, sentiment conforté par une étude scientifique montrant que plus de 80% des sols prélevés autour des sites d’orpaillage à Angovia, Kouakougnanou et Akakro présentent des concentrations en métaux traces au-delà des seuils agronomiques de référence, rendant certaines zones incompatibles avec une agriculture saine et durable. À Angovia même, cette économie minière a provoqué une envolée du coût de la vie : les anecdotes d’achats de poisson à des prix exorbitants par rapport aux marchés de Bouaflé illustrent la hausse générale des denrées, confirmée par la chefferie villageoise.

Travaux de bitumage de la voie qui traverse le village en cours . Crédit photo : Bony Valéry
Dans le même temps, la présence de Perseus et des revenus tirés de l’or ont profondément modifié le paysage du village, longtemps resté en marge des grandes cartes mentales du pays. La piste en latérite qui y mène est en cours de bitumage sur une vingtaine de kilomètres, des constructions modernes se sont multipliées, un maquis inspiré des établissements abidjanais a ouvert, une ébénisterie bien équipée fonctionne et les services de proximité – salons de coiffure, kiosques de restauration, épiceries – se sont densifiés. L’ouverture récente d’un collège de base permet désormais aux enfants de poursuivre leur scolarité au village jusqu’en 3e, même si certains regrettent que l’offre en matières scientifiques reste limitée. Cette marche vers la modernité charrie cependant des effets pervers : renforcement des inégalités, pression sur le foncier, inflation locale, tensions sociales autour du partage des bénéfices et fragilisation de la chefferie traditionnelle. (A suivre)…

Aperçu de l’un des bâtiments qui constituent le collège à base 4 . Crédit photo : Bony Valéry
Enquête réalisée dans le cadre du Projet GRSE 2023-2025, avec l’appui de la GIZ GmbH, de la CN-ITIE Côte d’Ivoire et le mentorat de la Cellule Norbert Zongo pour le journalisme d’investigation en Afrique de l’Ouest (CENOZO).
