
Afin que nul n’en ignore
Une République où la loi fondamentale se plie aux circonstances n’en est plus vraiment une. C’est autre chose. Et ce « quelque chose » mériterait enfin d’être nommé afin que nul n’en ignore, sache à quoi s’en tenir et se gouverne en conséquence.
La 35ᵉ Coupe d’Afrique des nations a débuté le 21/12 au Maroc. Avant le coup d’envoi du match d’ouverture, un détail, en apparence anodin, a retenu l’attention des téléspectateurs. Les joueurs marocains, saluant le prince héritier, ont baisé son épaule droite. Un geste codifié, lisible, cohérent dans une monarchie où l’allégeance va à la Couronne. Rien à redire. À chaque système politique, ses symboles et ses usages.
La Côte d’Ivoire, elle, a fait à l’indépendance en 1960 le choix de la République. Une communauté de destin fondée non sur l’homme ou le trône, mais sur la loi. Une organisation institutionnelle dans laquelle l’allégeance des citoyens va à la Constitution, socle du vivre-ensemble, référence absolue de l’action publique. En théorie… du moins.
À y regarder de plus près, la pratique institutionnelle interroge notre rapport à la loi fondamentale. Non par posture, mais au regard d’événements récents et documentés.
Dernier épisode en date : les législatives. La candidature de membres de l’exécutif, dont celle du très apolitique vice-président de la République, Koné Tiémoko Meyliet, invite à un devoir légitime de veille citoyenne au regard des principes constitutionnels relatifs à la séparation des pouvoirs. L’article 54 de la Constitution dispose en effet que la fonction de vice-président est incompatible avec tout autre mandat public, notamment électif. Cette situation pose dès lors une question de fond : le gouvernement a-t-il été dissous, où et quand ? L’opinion publique en a-t-elle été informée par les canaux officiels avant que des ministres et le vice-président ne donnent l’impression de s’écarter de leurs obligations républicaines ?
Ce questionnement n’est pas isolé. Il s’inscrit dans une séquence plus large.
Lors de la grève des enseignants, exercée dans le cadre d’un droit reconnu par la Constitution, l’interpellation nocturne d’un enseignant à son domicile a suscité une vive émotion. Le principe de l’inviolabilité du domicile, également garanti par la loi fondamentale, a alors été au cœur du débat public. L’intéressé a par la suite été entendu par la justice et condamné… avec sursis en appel.
Plus récemment, c’est le député Soumaïla Brédoumy qui a été placé en détention pour des faits qualifiés de flagrant délit du point de vue du parquet, sans que ne soit évacuée la question de la levée préalable de son immunité parlementaire, exigée par les textes. Ces faits et leur qualification relèvent désormais de l’appréciation des juridictions compétentes.
Pris isolément, chacun de ces épisodes peut donner lieu à des explications. Ensemble, ils interrogent sur la constance dans l’application des principes constitutionnels.
Une République où la loi fondamentale se plie aux circonstances n’en est plus vraiment une. C’est autre chose. Et ce « quelque chose » mériterait enfin d’être nommé afin que nul n’en ignore et se gouverne en conséquence.
