
Coupe d’Afrique des Nations : la malédiction du tenant du titre
À 72 heures de l’ouverture de la grand-messe du football africain au Maroc, www.letau.net revient sur ce qu’il est désormais convenu d’appeler la malédiction du tenant du titre. Parvenu au sommet, le champion sortant, à de rares exceptions près, peine à reproduire un parcours à la hauteur de son statut lors de l’édition suivante. Un phénomène qui traverse les époques et perdure depuis plus de six décennies.
Qu’en sera-t-il de l’édition 2025 ? La Côte d’Ivoire, championne en titre, parviendra-t-elle à déjouer cette loi non écrite de la CAN ?
C’est ce dimanche que s’ouvre au Maroc la CAN 2025. Au fil des éditions, le grand rendez-vous du football africain s’est forgé une réputation bien au-delà des frontières du continent, entre légendes, exploits et scénarios improbables. Mais derrière le folklore et la ferveur populaire, une constante se dégage : le champion sortant n’est presque jamais assuré de se succéder à lui-même. Cette règle tacite, absente des textes de la CAF mais gravée dans les faits, s’impose édition après édition.
Bien sûr, comme toute règle, elle connaît des exceptions. Le Ghana des années 1960, le Cameroun du début des années 2000 ou surtout l’Égypte, capable d’enchaîner un triplé inédit entre 2006 et 2010, ont défié la statistique. Mais ces cas restent marginaux. Dans l’immense majorité des situations, le tenant du titre chute, parfois brutalement.
| Édition | Pays hôte | Tenant du titre | Parcours du tenant du titre | Format |
| 2023 | Côte d’Ivoire | Sénégal (2021) | Huitièmes de finale | 24 |
| 2021 | Cameroun | Algérie (2019) | Phase de groupes | 24 |
| 2019 | Égypte | Cameroun (2017) | Huitièmes de finale | 24 |
| 2017 | Gabon | Côte d’Ivoire (2015) | Phase de groupes | 16 |
| 2015 | Guinée équatoriale (hôte de remplacement) | Nigeria (2013) | Non qualifié | 16 |
| 2013 | Afrique du Sud | Zambie (2012) | Phase de groupes | 16 |
| 2012 | Gabon – Guinée équatoriale | Égypte (2010) | Non qualifiée | 16 |
| 2010 | Angola | Égypte (2008) | Champion | 16 |
| 2008 | Ghana | Égypte (2006) | Champion | 16 |
| 2006 | Égypte | Tunisie (2004) | Quarts de finale | 16 |
| 2004 | Tunisie | Cameroun (2002) | Quarts de finale | 16 |
| 2002 | Mali | Cameroun (2000) | Champion | 16 |
| 2000 | Ghana – Nigeria | Égypte (1998) | Troisième place | 16 |
| 1998 | Burkina Faso | Afrique du Sud (1996) | Finaliste | 16 |
| 1996 | Afrique du Sud | Nigeria (1994) | Non participant (boycott) | 16 |
| 1994 | Tunisie | Côte d’Ivoire (1992) | Troisième place | 12 |
| 1992 | Sénégal | Algérie (1990) | Phase de groupes | 12 |
| 1990 | Algérie | Cameroun (1988) | Quarts de finale | 8 |
| 1988 | Maroc | Égypte (1986) | Phase de groupes | 8 |
| 1986 | Égypte | Cameroun (1984) | Finaliste | 8 |
| 1984 | Côte d’Ivoire | Ghana (1982) | Troisième place | 8 |
| 1982 | Libye | Nigeria (1980) | Phase de groupes | 8 |
| 1980 | Nigeria | Ghana (1978) | Finaliste | 8 |
| 1978 | Ghana | Maroc (1976) | Phase de groupes | 8 |
| 1976 | Éthiopie | Zaïre (1974) | Dernier du groupe final | 8 (format spécial) |
| 1974 | Égypte | Congo (1972) | Quatrième place | 8 |
| 1972 | Cameroun | Soudan (1970) | Phase de groupes | 8 |
| 1970 | Soudan | RD Congo (1968) | Phase de groupes | 8 |
| 1968 | Éthiopie | Ghana (1965) | Finaliste | 8 |
| 1965 | Tunisie | Ghana (1963) | Champion | 6 |
| 1963 | Ghana | Éthiopie (1962) | Quatrième place | 6 |
| 1962 | Éthiopie | Égypte / R.A.U. (1959) | Finaliste | 4 |
| 1959 | Égypte | Égypte (1957) | Champion | 3 |
| 1957 | Soudan | — | Première édition | 3 |
Fortunes diverses
Dans la plupart des cas, la sentence tombe tôt : dès la phase de groupes, ou à l’étape des quarts de finale. Les demi-finales, la finale ou même un podium sont alors assimilés à un parcours honorable, mais rarement à une confirmation du titre.
Les exemples récents sont éloquents. En 2023, le Sénégal, vainqueur en 2021, trébuche dès les huitièmes de finale face à la Côte d’Ivoire, future championne et pays hôte. Deux ans plus tôt, en 2021, l’Algérie, championne en titre, quitte la compétition dès la phase de groupes au Cameroun, sans la moindre victoire. En 2019, le Cameroun ne parvient pas à franchir le cap des huitièmes de finale en Égypte.
Depuis le sacre égyptien de 2010, aucun tenant du titre n’a réussi à reconquérir le trophée, et très rares sont ceux à s’être hissés dans le dernier carré. Symbole d’une alternance presque systématique sur le terrain, la CAN abhorre les prolongations de mandat.
Les exceptions
Comme toute malédiction, celle-ci admet des contre-exemples.
Le Ghana, sacré en 1963 et 1965, a dominé les premières années de la compétition, disputant trois finales consécutives entre 1963 et 1968.
Le Cameroun, champion en 1984, atteint encore la finale en 1986 avant de céder aux tirs au but face à l’Égypte, pays hôte.
Plus récemment, les Lions indomptables réussissent l’exploit de conserver leur titre en 2002, après un premier sacre en 2000.
Mais c’est surtout l’Égypte qui fait figure d’exception absolue, avec un triplé historique en 2006, 2008 et 2010, jamais reproduit depuis. Ces séquences relèvent davantage de l’anomalie que de la norme.
Conjonction de facteurs
Cette instabilité chronique, qui ferait presque recette dans bien d’autres domaines de la vie publique africaine, s’explique par une conjonction de facteurs.
D’abord, la pression du statut : le tenant du titre n’avance plus en chasseur, mais en chassé, avec une cible dans le dos.
Ensuite, le renouvellement générationnel, souvent mal maîtrisé, dans un contexte de nivellement des valeurs où les écarts entre sélections se réduisent.
À cela s’ajoute le format court et intense de la compétition : un jour sans, un fait de jeu, et tout bascule.
Enfin, demeure la glorieuse incertitude du football, parfaitement illustrée en 2012 lorsque la Zambie, donnée outsider, renverse la Côte d’Ivoire aux tirs au but en finale. À la CAN, le prestige protège peu. La régularité encore moins. Et c’est sans doute ce qui fait le charme de cette compétition : sa capacité à redistribuer les cartes, sans complexe et sans état d’âme. Sans vouloir jouer les oiseaux de mauvais augure, les millions de supporters ivoiriens et d’entraîneurs improvisés n’ont qu’à s’en souvenir : à la Coupe d’Afrique des nations, le titre se célèbre au présent, rarement au futur.
